Les dispositifs de vapotage, aussi appelés « cigarettes électroniques », ont fait leur apparition il y a plus de dix ans. Ils ont été conçus pour libérer de la nicotine par de la vapeur chauffée, ce qui élimine la fumée et réduit les effets cancérigènes du tabac. L’idée était d’aider les fumeurs à diminuer les risques pour leur santé et de les encourager à arrêter de fumer.
Cette promesse s’est aujourd’hui transformée en un cauchemar de santé publique.
Le Dr Andrew Pipe est une sommité canadienne en matière d’abandon du tabac. Il est également président du conseil d’administration de Cœur + AVC. Nous lui avons demandé d’expliquer comment le vapotage affecte la santé et ce qui doit changer.
Comment cette crise a-t-elle commencé?
Les produits de vapotage ont évolué rapidement, en particulier au cours des quatre ou cinq dernières années. Maintenant, toute une gamme de dispositifs utilisant la nicotine sous différentes formes se retrouve sur le marché. Cette substance est parmi les plus addictives.
À l’échelle nationale, les produits de vapotage avec nicotine ont été légalisés en mai 2018, mais sans faire l’objet d’une réglementation digne de ce nom. C’était l’anarchie, essentiellement.
De nombreux produits libèrent une quantité phénoménale de nicotine.
Quelle est la principale préoccupation concernant le vapotage?
La nicotine est l’une des substances les plus addictives. La nicotine a des répercussions sur le développement du cerveau des jeunes, en particulier sur les aires du cerveau responsables de l’apprentissage, de l’attention, de l’humeur et du contrôle des pulsions. Le plus inquiétant est que les jeunes qui consomment de la nicotine courent plus de risque de développer une dépendance à d’autres substances.
Les professionnels de la santé constatent une explosion de l’utilisation des dispositifs de vapotage, des différents liquides utilisés, ainsi que des centaines d’ingrédients et de produits chimiques aromatisants ajoutés à ces liquides.
Qui utilise des dispositifs de vapotage?
Au pays, près de la moitié des personnes qui vapotent sont des jeunes ou de jeunes adultes.
La raison? Ces produits sont commercialisés de manière très dynamique par l’entremise des médias sociaux et de stratégies de communication malveillantes que l’industrie du tabac utilise pour cibler les jeunes.
Selon les statistiques les plus récentes, 17 % des élèves de la 7e à la 12e année (l’équivalent de la première année du secondaire à la première année de cégep au Québec) vapotent et 29 % ont déjà vapoté au moins une fois. Une autre étude a révélé une hausse de 112 % du taux de vapotage chez les jeunes entre 2017 et 2019.
En raison du manque de sensibilisation à ce sujet, de nombreux jeunes ne réalisent probablement pas que le vapotage peut mener à une dépendance à la nicotine, même si les liquides ne contiennent pas de tabac. Une étude récente a démontré qu’au pays 57 % des jeunes qui vapotent ont déjà tenté (sans succès) de cesser.
De nouvelles données probantes indiquent que le vapotage peut mener à une dépendance à la nicotine, même si les liquides ne contiennent pas de tabac. Une étude récente a démontré qu’au pays 57 % des jeunes qui vapotent ont déjà tenté (sans succès) de cesser.
Les entreprises de vapotage disent souhaiter que leurs produits soient utilisés seulement par des fumeurs adultes voulant cesser de fumer. Si elles sont sincères, on ne peut pas dire que leur stratégie de marketing est un échec total.
Pourquoi les jeunes vapotent-ils?
En bref, les jeunes exposés à une publicité omniprésente sont séduits par des milliers d’arômes attrayants. Lorsque l’arôme de leur bonbon préféré est offert, ils développent rapidement une dépendance.
Dans un sondage récent mené au pays, 9 jeunes vapoteuses et vapoteurs sur 10 ont répondu avoir continué d’utiliser une cigarette électronique aromatisée après en avoir essayé une la première fois qu’ils ont vapoté.
Plus important encore, près de la moitié des jeunes de ce groupe d’âge qui vapotent mentionnent qu’ils cesseraient de vapoter si les arômes n’étaient plus offerts. Quel est l’arôme le plus populaire? Après les liquides aromatisés aux fruits, ce sont ceux à la menthe et au menthol qui étaient les plus populaires auprès des jeunes au pays en 2020 et en 2021.
Que savons-nous des effets du vapotage sur la santé?
Il faudra peut-être attendre 20 ou 30 ans avant de comprendre entièrement les effets à long terme du vapotage. Nous savons déjà que le vapotage a des répercussions sur le fonctionnement des vaisseaux sanguins et fait augmenter la pression artérielle et la fréquence cardiaque. De nombreuses recherches ont démontré que l’utilisation de la cigarette électronique est liée à l’inflammation, au stress oxydatif et à l’instabilité hémodynamique, qui sont des signes précurseurs de risque cardiovasculaire. Nous savons également que, selon des études, les personnes qui fument et qui vapotent présentent un risque plus élevé de maladies du cœur et d’AVC.
Le vapotage présente certains des effets néfastes du tabagisme sur la santé, y compris un risque plus élevé d’infections, une diminution de l’immunité, des problèmes de santé buccodentaire et des problèmes respiratoires. Nous constatons aussi des répercussions sur les cerveaux en développement des jeunes. La nicotine est nocive et peut ralentir le développement du cerveau. Selon des données probantes, il y a une association entre le vapotage et les problèmes de santé mentale chez les jeunes. Le plus inquiétant est que le directeur du Service de santé publique des États-Unis a découvert que les jeunes qui consomment de la nicotine courent plus de risque de développer une dépendance à d’autres substances.
En gros, nous avons une importante crise de santé publique à régler.
Les fumeurs adultes devraient-ils toujours avoir accès au vapotage?
Le vapotage est moins nocif que la cigarette, mais il demeure tout de même dommageable. L’utilisation des dispositifs de vapotage comme aide à l’abandon du tabac présente des avantages potentiels, mais les données probantes ne sont pas suffisantes et laissent place au doute.
Cœur + AVC recommande aux fumeuses et aux fumeurs de consulter un médecin ou tout autre professionnel de la santé qui pourra répondre à leurs besoins, comme s’il était question d’un médicament ou d’une autre substance.
Malheureusement, la plupart des adultes qui vapotent fument aussi la cigarette, et font donc ce que l’on appelle un « double usage ». Il est prouvé que ces personnes augmentent leur risque global d’être atteints de divers problèmes de santé.
Que faut-il faire pour gérer cette crise de santé publique?
D’abord, nous avons du rattrapage à faire. Le gouvernement fédéral a récemment mis en place des politiques pour s’attaquer à la crise du vapotage chez les jeunes, mais il reste encore beaucoup à faire pour les empêcher de commencer à vapoter et réduire le taux de vapotage.
Nous devons adopter une approche globale, qui reflète les approches utilisées pour s’attaquer à l’utilisation des produits du tabac commerciaux. La réglementation gouvernementale devrait :
- éliminer les arômes attrayants pour les jeunes, y compris ceux de menthe et de menthol;
- exiger l’utilisation d’emballages neutres et normalisés pour tous les produits de vapotage;
- ajouter des mises en garde évocatrices sur la santé pour sensibiliser les consommatrices et consommateurs aux risques du vapotage
- interdire la vente aux personnes de moins de 21 ans.
Toute une série de mesures politiques est donc nécessaire. Il faudra aussi, bien sûr, s’assurer qu’elles sont respectées et qu’elles entraînent de la responsabilisation.
Il est encourageant de voir que les gouvernements provinciaux et fédéral ont commencé à s’attaquer à ce problème. Certaines administrations ont fait preuve de leadership à cet égard en adoptant des restrictions sur les arômes, le taux de nicotine et l’âge minimum d’achat, de même qu’en imposant des taxes.
Le gouvernement fédéral a adopté une réglementation pour interdire la publicité et la promotion auprès des jeunes, limiter la quantité de nicotine contenue dans les produits de vapotage à 20 mg/ml, imposer une taxe sur les produits de vapotage et intégrer un cadre de taxation des produits de vapotage partout au pays.
Toutefois, ce n’est qu’un début. Il y a encore plus à faire pour empêcher les jeunes et les personnes qui ne fument pas d’avoir accès à ces produits nocifs. Nous avons aussi besoin de politiques strictes qui protègent la population de l’ensemble du pays, pas seulement celle de certaines provinces.
Qu’a fait Cœur + AVC pour accélérer la mise en œuvre de politiques pour contrer le vapotage?
L’industrie du tabac fait maintenant équipe avec celle du vapotage. Forte de plusieurs dizaines d’années d’expérience dans la vente de produits nocifs et dans la création d’une dépendance chez les jeunes, l’industrie du tabac possède une capacité inégalée à mentir au public, à induire celui-ci en erreur et à s’opposer vigoureusement à toute forme de réglementation.
Cœur + AVC et d’autres organismes ont défendu activement le bien-fondé d’une réglementation en la matière auprès des gouvernements et des décideurs politiques dans toutes les provinces et tous les territoires du pays. Nous avons demandé aux gouvernements d’agir rapidement puisqu’il y a urgence concernant cet enjeu.