La Dre Sherryn Rambihar est cardiologue et chercheuse à Toronto. Nous l’avons interrogée sur les raisons pour lesquelles les femmes font face à des lacunes dans le diagnostic et les traitements, et sur les changements nécessaires pour combler le fossé en recherche.
En quoi le cœur des femmes diffère-t-il de celui des hommes?
Voilà une question à la fois simple et complexe. À première vue, le cœur des femmes et celui des hommes se ressemblent, mais un examen en profondeur révèle des différences à l’égard des maladies du cœur, ainsi que de l’évolution et des signes et symptômes de la maladie.
C’est un fait établi, les femmes ont de petites artères. Or, dans leur cœur, le cholestérol se dépose dans les petits vaisseaux sanguins. Cela a des conséquences sur le diagnostic et le traitement des maladies du cœur.
En quoi les facteurs de risque des maladies du cœur diffèrent-ils entre les femmes et les hommes?
Nous connaissons tous les facteurs de risque habituellement associés aux maladies du cœur, tant chez les hommes que chez les femmes. Il s’agit notamment des facteurs liés au mode de vie, comme le manque d’activité physique, une alimentation de faible valeur nutritive et le stress, ainsi que des problèmes de santé comme l’hypertension artérielle.
Toutefois, chez les femmes, certains facteurs, dont la dépression, le tabagisme et le diabète, peuvent revêtir une plus grande importance et être plus intimement liés à la crise cardiaque.
C’est sans compter les facteurs de risque propres aux femmes.
Il y a d’abord les complications possibles pendant la grossesse, y compris le diabète gestationnel, la prééclampsie et l’hypertension artérielle gravidique (une pression artérielle élevée et des manifestations rénales). Nous comprenons maintenant que ces problèmes de santé peuvent être liés à un risque futur de maladies cardiovasculaires.
Enfin, certaines affections qui touchent plus de femmes que d’hommes, comme les maladies auto-immunes, sont fortement liées aux maladies cardiovasculaires. Beaucoup de gens l’ignorent.
En quoi la crise cardiaque diffère-t-elle chez les femmes et chez les hommes?
Il est important de savoir que les douleurs thoraciques sont le symptôme le plus souvent ressenti tant par les hommes que par les femmes lors d’une crise cardiaque.
Cependant, celles-ci décrivent aussi d’autres symptômes. Nous savons que chez 53 % des femmes, les symptômes d’une crise cardiaque ne sont pas reconnus comme tels.
Il pourrait s’agir d’une douleur épigastrique (dans la partie supérieure de l’abdomen, sous les côtes). Ou alors, les femmes auront décrit leur douleur différemment. Peut-être les ont-elles minimisés, priorisant plutôt la santé des enfants.
En cardiologie, nous savons que le temps joue contre le cœur. Dans le cas d’une crise cardiaque, l’intervention d’un spécialiste médical est urgente pour déboucher l’artère obstruée. Donc, si non seulement les femmes, mais aussi certains professionnels de la santé ne détectent pas la crise cardiaque, nous faisons face à un problème colossal.
Enfin, nous devons être conscients des faiblesses de notre système. Certaines personnes, dont des femmes, ont un risque plus élevé pour des raisons socioéconomiques et ethniques.
Ces lacunes touchent les personnes d’origine autochtone, sud-asiatique et africaine. Nous devons connaître et comprendre les causes qui peuvent augmenter le risque de façon exponentielle.
Pourquoi les femmes font-elles face à des lacunes dans le diagnostic?
Les outils d’évaluation du risque cardiovasculaire datent d’avant la participation des femmes aux essais cliniques. Il s’agit d’anciennes données fondées sur une population majoritairement masculine et blanche. Elles ne reflètent pas la réalité des patients dans nos bureaux, nos salles d’urgence et notre société.
Ces outils omettent des facteurs de risque élevé qui touchent les jeunes femmes et posent une plus grande menace, comme la grossesse et les maladies auto-immunes.
Les tests diagnostiques non effractifs, c’est-à-dire qui ne nécessitent pas qu’on passe à travers la peau, sont moins sensibles aux types de maladies du cœur qui affectent les petits vaisseaux de nombreuses femmes.
Même lorsqu’elles subissent un examen ou un traitement effractif par cathétérisme cardiaque, 25 % des jeunes femmes victimes d’une crise cardiaque présentent des déchirures des artères coronaires qui ne sont souvent pas détectées, car la technologie fait défaut.
Comment allons-nous changer cela?
Des initiatives sont en chantier, et certaines empruntent des avenues très prometteuses. Il faut cependant pousser la recherche pour les développer.
Par exemple, de nouveaux algorithmes aident les praticiens, les infirmiers et les médecins sur le terrain à établir des diagnostics plus précis chez les femmes. Ils considèrent des facteurs de risque propres aux femmes, et tiennent compte des jeunes femmes, des personnes plus vulnérables et des facteurs ethniques.
Du côté des tests diagnostiques non effractifs, des percées en matière d’imagerie par résonance magnétique (IRM) et de tomographie par émission de positons (TEP) ainsi que des nouvelles technologies dans les laboratoires de cathétérisme sont à venir.
En ce moment, ces projets sont toutefois en grande partie expérimentaux. Nous avons besoin de plus de recherche, de financement et d’aide pour que ces objectifs deviennent réalité.
Soit, la recherche est essentielle, mais comment sauvera-t-elle la vie des femmes?
Les percées en recherche doivent être transposées à la pratique pour les professionnels de la santé sur le terrain, à la salle d’urgence et en clinique. Ce sont eux qui interviennent auprès des femmes. Il faut mieux les outiller pour qu’ils comprennent les risques et symptômes propres aux femmes et traitent celles-ci en conséquence.
Plus on parle des maladies du cœur chez les femmes, plus le sujet devient courant. Il n’a rien de tabou. Il est temps d’en parler franchement.
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Cet article est adapté d’un RDV VoirRouge de Cœur + AVC d’avril 2018.