Geneviève Morel, alors âgée de 26 ans, était enceinte de six mois. Tout se passait bien; elle avait même une photo pour le prouver. Après l’échographie de 24 semaines de grossesse, elle avait pris soin de coller près de son lit les photos de son bébé en santé.
Le 31 mars 2013, Geneviève était à la maison avec son conjoint, Jonathan, lorsqu’elle s’est soudainement écroulée par terre, la tête entre les mains.
« La foudre a éclaté dans ma tête. Je percevais que mon côté gauche était paralysé », se rappelle Geneviève.
Alors en panique, elle a réalisé qu’elle faisait un AVC. Jonathan, qui a entendu le vacarme, a tout de suite su que quelque chose n’allait vraiment pas et a composé le 9-1-1.
Geneviève se souvient que sa rue s’est rapidement illuminée de jaune, rouge et bleu, et que des voisins sortaient pour voir ce qu’il se passait. Elle se débattait tandis que les ambulanciers essayaient de la faire entrer dans l’ambulance pour l’amener rapidement à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé, à Laval.
Les médecins de la salle des urgences ont placé Geneviève dans un coma artificiel afin de réduire l’œdème et de la protéger des lésions cérébrales. Lors de l’examen par imagerie de son cerveau, les médecins ont constaté une hémorragie qui prenait de l’expansion à une vitesse alarmante.
« C’était inconcevable pour une femme enceinte âgée de 26 ans. Nos deux vies étaient en danger; la mienne et celle de mon bébé », affirme Geneviève.
La jeune femme a été transférée au département de neurochirurgie de l’hôpital Notre-Dame.
À 4 h 15, soit après cinq heures de supplice, un médecin est venu voir Jonathan et lui a demandé de prendre une décision inconcevable. Geneviève était sur le point de passer une série de tests à haut risque. Si les choses ne se passaient pas bien, l’équipe médicale ne pourrait sauver qu’elle ou son fils à naître.
Horrifié, Jonathan a décidé de sauver la vie de Geneviève avant tout.
La chirurgie a duré cinq heures. À 11 h, un médecin est sorti de la salle d’opération et a parlé à la famille de Geneviève. Celle-ci s’en était sortie avec de nombreux dommages au cerveau et la paralysie de son côté gauche. Mais son fils à naître semblait intact.
« Lorsque la maladie survient comme une complication liée à la grossesse, l’impact sur la mère, l’enfant et la famille peut être dévastateur. »
« Son petit cœur battait toujours. C’était tout ce qui importait », affirme Geneviève.
Le mois suivant la chirurgie reste flou pour la jeune femme.
« Je ne garde aucun souvenir du mois suivant. J’étais alitée et prisonnière de mon corps. Il manquait une grande partie de mon crâne, car remettre en place le fragment en ayant recours à l’anesthésie générale était trop risqué avant l’accouchement. »
Geneviève a été transférée de nouveau à l’Hôpital de la Cité-de-la-Santé deux semaines plus tard, puis à l’Hôpital juif de réadaptation.
« Ça a été une période difficile au cours de laquelle j’ai commencé à réaliser dans quel état j’étais. Je me souviens de la première fois où mon épaule gauche a bougé. C’était au début du mois de mai. Ça a été un réel moment d’espoir. Les étoiles dans les yeux de mon père, de Jonathan et même du médecin m’ont marquée. »
« Je commençais vraiment à comprendre que ma vie ne serait dorénavant plus la même. »
Au cours des semaines suivantes, des petites victoires se sont succédé. Elle a réussi à s’asseoir dans un fauteuil roulant à l’aide d’une préposée, et elle a appris à manger, à se laver et à s’habiller seule en utilisant sa main droite
Elle a dû réapprendre les bases. « Mon orgueil a été sérieusement atteint lorsque j’ai réalisé que je ne connaissais pas la réponse à 8 x 2. J’ai pleuré comme une enfant devant les autres patients, c’était plus fort que moi. Moi qui ai un diplôme d’études collégiales et une carrière d’intervenante en centre jeunesse… Je commençais vraiment à comprendre que ma vie ne serait dorénavant plus la même. »
Son supplice était loin d’être terminé. Seulement deux mois après l’opération, les médecins ont remarqué que du liquide céphalorachidien s’était accumulé dangereusement dans la tête de Geneviève. Ils ont dû prendre la décision de procéder à une deuxième chirurgie avant la fin de sa grossesse. Elle est donc retournée au bloc opératoire de l’hôpital Notre-Dame en ambulance.
« À partir de là, j’ai eu envie d’abandonner, affirme-t-elle. J’ai pleuré beaucoup. J’avais peur de ce qui allait arriver. J’étais épuisée par tous ces transferts et traitements, j’avais besoin de me reposer. »
Pendant cette deuxième opération, les médecins ont remis en place la partie du crâne de Geneviève. À son réveil, une souffrance indescriptible a envahi cette dernière. Incapable de recevoir une dose de morphine appropriée en raison de sa grossesse, elle a été forcée d’endurer la douleur.
Trois semaines plus tard, Geneviève a été en mesure de retourner à l’Hôpital juif de réadaptation pour reprendre la physiothérapie et l’ergothérapie. « Je ne dormais plus la nuit. J’étais atteinte de fatigue chronique, l’une des conséquences de l’AVC. J’attendais impatiemment l’accouchement.
Geneviève en réadaptation trois mois après son AVC.
Le 28 juin, dans la joie et avec la gorge serrée, Geneviève a donné naissance par césarienne à Nathan. Il était en pleine forme.
Les mois suivants ont été teintés de situations nouvelles, de nombreux obstacles, de journées difficiles et de violence psychologique entre Jonathan et Geneviève.
« Nous étions dépassés et nous avions besoin d’aide. Heureusement, nous avons aussi vécu des moments merveilleux et inoubliables, et c’est ceux-là que l’on retient. Jonathan a dû endosser mon rôle de maman puisque je n’étais pas autonome. Sa vie était celle d’un parent monoparental avec un bébé naissant et une personne handicapée à sa charge. Malgré tout, il a relevé le défi haut la main. »
La cause de l’AVC de Geneviève demeure inconnue. Son expérience, toutefois, n’est pas rare.
Un lien entre AVC et grossesse
L’AVC pendant la grossesse est plus fréquent qu’on le pensait, selon une récente étude publiée dans l’International Journal of Stroke.
Des travaux de recherche récents indiquent qu’environ 30 femmes sur 100 000 subiront un AVC pendant leur grossesse. Le risque le plus élevé survient durant la période juste avant ou après la naissance.
« La grossesse peut affecter les facteurs de risque vasculaires, comme le diabète ou le niveau de la pression artérielle, mais beaucoup de gens ne reconnaissent pas le risque accru d’AVC », affirme l’un des coauteurs de l’étude, le Dr Rick Swartz, neurologue spécialiste de l’AVC; directeur médical, Programme régional de soins de l’AVC du secteur nord-est du Grand Toronto; directeur, Unité de recherche sur l’AVC, Centre des sciences de la santé Sunnybrook; et professeur adjoint, département de médecine, Université de Toronto. « L’AVC est l’une des principales causes de décès et d’incapacité chez les adultes, et lorsque la maladie survient comme une complication liée à la grossesse, l’impact sur la mère, l’enfant et la famille peut être dévastateur. »
Davantage d’études sont nécessaires pour expliquer précisément pourquoi le risque d’AVC est trois fois plus élevé chez les femmes enceintes que chez les jeunes adultes. Cependant, les premières constatations suggèrent que les changements hormonaux et certaines conditions comme la prééclampsie peuvent accroître ce risque. Cette maladie, qui se caractérise par une hypertension soudaine, peut menacer la vie de la future mère et de son bébé si elle n’est pas traité. L’hypertension artérielle est le principal facteur de risque d’AVC, mais elle peut être gérée. Adopter une alimentation saine, être actif et gérer son stress permettent de réduire ce risque.
Les femmes qui ont subi un AVC avant d’être enceintes devraient assurer un suivi étroit avec leur fournisseur de soins de santé afin de contrôler soigneusement les facteurs de risque comme la prééclampsie, le niveau de la pression artérielle et le taux de glycémie.
« Toutes les femmes enceintes présentent un risque faible mais accru d’AVC, indique la Dre Patrice Lindsay, directrice de l’AVC à la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC, et coauteure de l’étude. Même si ce risque ne peut pas être éliminé, les femmes disposent de plusieurs moyens pour le réduire, notamment adopter une alimentation saine, être physiquement actives, cesser de fumer, contrôler leur pression artérielle et leur stress, et limiter leur consommation d’alcool. »
De nouveaux départs
Moins d’un mois après la naissance de Nathan, Geneviève a commencé un nouveau programme de réadaptation.
« J’ai fait énormément de progrès durant ces mois-là grâce à la volonté, la persévérance et tous les gens autour de moi qui se sont acharnés pour faire ressortir le meilleur de moi-même, note-t-elle. J’ai appris à avoir confiance en moi, et c’est le plus beau cadeau que l’on puisse recevoir. »
Geneviève a mis un point d’honneur à intégrer l’exercice et une bonne alimentation à sa routine. « Mon mode de vie a changé et j’ai de grandes aspirations pour l’avenir. C’est en partie grâce à la Cœur + AVC que nous sommes toujours en vie, Nathan et moi. La recherche et les nouvelles technologies ont joué un rôle majeur au cours de mes chirurgies et de ma réadaptation. Même avec une hémiparésie toujours bien présente, je sais que rien n’est impossible! »