Vous êtes la première femme noire à devenir cardiologue interventionnelle au pays. À quel âge avez-vous décidé de suivre cette voie?
J’ai su dès le secondaire que je voulais être médecin. C’était très clair pour moi et j’ai toujours travaillé fort pour atteindre cet objectif. Pendant ma première année d’études en médecine, je suis tombée en amour avec le cœur, mais je ne pensais pas que la cardiologie était un domaine pour moi, jusqu’à ce que je découvre la cardiologie interventionnelle. Dans cette branche, on pratique des interventions non invasives, en passant par le poignet ou l’aine, pour éliminer les blocages dans les artères du cœur.
J’ai toujours visé l’excellence. Le fait de ne pas avoir de modèle à mon image pour me servir d’exemple ne m’a jamais empêché de croire que je pouvais réussir.
Au départ, je voulais être chirurgienne généraliste. La cardiologie interventionnelle m’a permis de combiner ma passion grandissante pour le système cardiovasculaire et mon amour pour la chirurgie, tout en comblant mon besoin d’action! Les gens qui me connaissent savent que je ne peux pas rester en place. Je ne pourrais jamais passer toutes mes journées assise dans un bureau.
Avez-vous reçu beaucoup de soutien?
J’avais toute une équipe derrière moi : mes parents, mes amis et ma famille. Mes enseignantes et enseignants au secondaire et au cégep m’ont beaucoup soutenue également. Toutefois, certaines personnes m’ont dit que je devrais peut-être choisir une autre carrière, mentionnant à quel point il était difficile d’être admis en médecine. J’ai préféré les ignorer.
Lorsque j’ai commencé mes études à l’école de médecine, j’étais dans une classe de 250 personnes, dont très peu étaient issues de la communauté noire. Ce n’est que plusieurs années après le début de ma formation que j’ai rencontré des professeurs qui me ressemblaient.
Certaines personnes parlaient de moi comme étant « la résidente noire » plutôt que de m’appeler par mon nom. Un médecin enseignant m’a dit que je devrais envisager une autre carrière, tout en sachant que j’avais déjà reçu ma lettre d’admission au programme de cardiologie. Quelques professeurs ont même laissé entendre que je n’étais pas « faite pour la cardiologie ». Je suis heureuse d’avoir eu beaucoup d’autres superviseurs et mentors qui m’ont encouragée et qui ont cru en moi!
Où avez-vous trouvé la force de croire en vos rêves, compte tenu du fait que vous ne disposiez pas de modèle vous ressemblant?
J’ai toujours visé l’excellence. Le fait de ne pas avoir de modèle à mon image pour me servir d’exemple ne m’a jamais empêché de croire que je pouvais réussir.
Mes parents ont tous deux déjoué les pronostics : ils ont fait des études collégiales et universitaires, et sont devenus de jeunes professionnels dans un pays étranger.
J’étais résolue à suivre leurs pas et à réaliser mes rêves, et ce, peu importe la façon dont le monde me voyait et les attentes de la société à mon égard. J’étais déterminée à faire mentir les statistiques et à briser les stéréotypes. Je dois aussi avouer que j’aime les défis.
Vous êtes une jeune femme d’origine haïtienne. Quelle incidence cela a-t-il sur votre travail et votre influence dans le domaine médical?
J’ai cherché ma voix pendant un certain temps. En tant que femme noire, une « double minorité », j’ai souvent eu le sentiment que je ne pouvais pas me présenter de façon authentique puisque j’étais très différente de mes collègues. Aujourd’hui, je comprends que ma force réside dans mon identité : je suis une femme noire sans complexe.
Être une femme noire dans le domaine de la médecine me permet d’avoir un point de vue différent en ce qui concerne l’expérience unique que les femmes et les personnes noires, autochtones et de couleur rencontrent dans un système de santé essentiellement blanc.
Il est très important pour moi d’offrir des soins adaptés à la culture. Je n’hésite jamais à dénoncer le racisme ou les comportements inappropriés envers des patientes et patients noirs ou autochtones. Je fais aussi de la sensibilisation sur les préjugés raciaux en médecine.
Vous avez mentionné un phénomène, la biologie de l’adversité, laquelle touche les personnes noires, autochtones et sud-asiatiques. Pouvez-vous expliquer de quoi il s’agit?
La biologie de l’adversité renvoie au rôle que joue l’environnement dans le développement de maladies cardiovasculaires. Le fait de vivre dans un environnement défavorable, notamment un milieu touché par la pauvreté, la discrimination et le manque d’accès à des soins de santé, peut causer du stress chronique et de l’inflammation dans le corps.
Ce stress et cette inflammation augmentent le risque de développer une maladie du cœur. En d’autres mots, l’endroit où vous vivez et les difficultés auxquelles vous faites face quotidiennement peuvent avoir une incidence majeure sur votre santé cardiaque. Ce lien démontre l’importance d’agir sur les facteurs environnementaux et sociaux afin d’améliorer la santé cardiaque globale.
La biologie de l’adversité est-elle liée aux traumatismes générationnels?
À mon avis, ces deux concepts s’entrecroisent. Les événements traumatisants ayant des répercussions sociales, économiques et familiales entraînent de la détresse et peuvent se transmettre d’une génération à l’autre. L’ADN aussi se transmet. Sur le plan génétique, même l’ADN s’adapte à un état de stress chronique en diminuant la transcription des gènes anti-inflammatoires et en augmentant la production de cytokines inflammatoires (les cytokines sont de petites protéines présentes dans l’organisme qui aident à réguler le système immunitaire et l’inflammation).
Le stress a une incidence sur notre ADN! Les effets biologiques des déterminants sociaux de la santé sur le risque de maladie cardiovasculaire peuvent aussi se transmettre d’une génération à l’autre.
Dans un article publié récemment, vous indiquez que les femmes, particulièrement celles issues de groupes racisés, présentent souvent des complications plus graves liées aux maladies cardiovasculaires, bien qu’elles aient moins de facteurs de risque. Quelles en sont les raisons et quel est le rôle des facteurs sociaux et économiques?
Le manque de sensibilisation et l’accès limité aux soins demeurent des problèmes importants au sein des communautés noires, autochtones et sud-asiatiques. Cela peut retarder la prise en charge et le traitement. Les groupes racisés sont plus susceptibles de vivre dans la pauvreté. Ils ne disposent pas des mêmes possibilités, que ce soit en matière d’emploi, de revenus, de soutien social et d’accès à des soins de santé et à une éducation de haute qualité. Ces facteurs accentuent les différences dans les résultats liés aux maladies cardiovasculaires.
Le racisme institutionnel est encore bien présent et est à l’origine d’importantes disparités dans les soins de santé. Par exemple, les personnes noires sont moins susceptibles de faire l’objet d’une demande pour subir une angiographie ou une transplantation cardiaque.
Il est difficile de s’orienter dans le système de santé en temps normal. Lorsque vous devez en plus faire face à des obstacles comme de la discrimination, cette tâche devient exténuante et de nombreuses personnes présentent un plus grand risque de développer de graves complications.
Quel message aimeriez-vous transmettre à la prochaine génération de filles et de femmes noires qui aspirent à devenir médecins?
Vous êtes à votre place.
Ne laissez personne vous arrêter. N’oubliez pas qui vous êtes. Ne vous laissez jamais abattre. Élargissez vos horizons! Faites-vous entendre et tenez-vous debout, car vous êtes à votre place.
- Apprenez-en davantage sur les facteurs de risque propres aux femmes.
- Découvrez des ressources pour se rétablir d’une maladie du cœur.
- Lisez les témoignages de femmes touchées par les maladies du cœur et l’AVC.
A propos la Dre Alexandra Bastiany
La Dre Alexandra Bastiany est une cardiologue interventionnelle qui pratique en Ontario (Canada). Elle a obtenu un doctorat en médecine avec distinction et a terminé sa formation en médecine interne et en cardiologie à l’Université de Montréal (UdeM). Elle a été la première Noire à être choisie pour prononcer le discours lors de la remise des diplômes de la faculté de médecine de l’Université de Montréal. La Dre Bastiany a ensuite réussi ses études postdoctorales en cardiologie interventionnelle en Alberta, devenant ainsi la première cardiologue interventionnelle noire au pays.
Combinant son expertise dans le domaine des maladies cardiovasculaires et sa passion pour le travail communautaire, la Dre Bastiany milite activement pour éliminer les préjugés liés à la race et au genre qui entraînent des différences dans les normes de soins et les résultats cliniques. Plus récemment, la Dre Bastiany a publié un article dans la Revue canadienne de physiologie et de pharmacologie, lequel s’intitule Engaging women in decision making about their heart health: A literature review with patients’ perspective.