Le Dr Rohan D’Souza a été témoin d’événements cardiovasculaires dévastateurs chez des femmes enceintes. Mais selon lui, nombre d’entre eux pourraient être évités.
Les événements cardiovasculaires sont l’une des principales causes de décès pendant et après la grossesse, tant dans les pays à revenu élevé que moyen et faible.
Le Dr D’Souza, spécialiste de la médecine materno-fœtale et professeur agrégé d’obstétrique et de gynécologie à l’Université McMaster à Hamilton, déclare : « Un nombre important de femmes, atteintes ou non d’une maladie du cœur connue, subissent des événements cardiovasculaires graves, comme une insuffisance cardiaque ou une arythmie, pendant la grossesse, l’accouchement ou le post-partum. Plusieurs de ces événements sont dus à des retards dans l’accès aux soins, dans le diagnostic et dans le traitement. L’objectif de notre équipe interdisciplinaire et multiprovinciale, qui compte également des personnes ayant une expérience vécue, est de réduire la prévalence de ces événements. »
Le Réseau canadien de réseaux pour réduire la mortalité et la morbidité cardiovasculaires durant la grossesse (The Canadian Network of Networks to Reduce Cardiovascular Mortality and Morbidity in Pregnancy [CaNCaM-Preg]), s’est vu octroyer un montant de 5 millions de dollars sur cinq ans par l’entremise des Réseaux d’excellence en recherche sur la santé cardiaque et cérébrale des femmes. Cette nouvelle initiative est financée par Cœur + AVC, en partenariat avec la Fondation Brain Canada et l’Institut de la santé des femmes et des hommes des Instituts de recherche en santé du Canada.
Cœur + AVC a demandé au Dr D’Souza comment le réseau allait améliorer les choses.
Est-ce que les prestataires de soins de santé connaissent les risques de problèmes cardiovasculaires pendant la grossesse?
Dr D’Souza : À l’école de médecine, on nous apprend que la grossesse est une période de grands changements, en particulier pour le cœur. Le volume sanguin augmente de 40 %, la résistance au flux sanguin diminue de 30 % et la fréquence cardiaque augmente de 10 à 20 %. Si la plupart des femmes enceintes sont capables de s’adapter à ces changements, certaines ne le sont pas. La possibilité que les choses tournent mal dès le début de la grossesse n’est pas toujours prise en compte, tout comme la nécessité de comprendre les facteurs de risque d’événements cardiovasculaires graves et de faire preuve de proactivité. En outre, ce ne sont pas tous les prestataires de soins de santé qui reçoivent une formation spécialisée pour reconnaître et traiter les problèmes cardiovasculaires graves pendant la grossesse.
Quelles sont les principales causes des problèmes cardiaques pendant la grossesse?
Dr D’Souza : Certaines personnes naissent avec une maladie du cœur, que l’on appelle cardiopathie congénitale. Dans la plupart des cas, la maladie est traitée par des médicaments ou une opération pendant l’enfance, mais des problèmes peuvent surgir pendant la grossesse. Une maladie du cœur peut parfois apparaître plus tard dans la vie d’une personne; on parle alors de maladie du cœur acquise. La cardiopathie rhumatismale en est un exemple. Cette maladie, qui provoque une fièvre rhumatismale endommageant les valves cardiaques, touche les femmes des pays à revenu faible et celles de statut socioéconomique inférieur. Bien souvent, ces femmes n’avaient pas reçu de diagnostic. Elles peuvent être atteintes d’insuffisance cardiaque pendant la grossesse ou l’accouchement. Enfin, certaines femmes n’ayant pas reçu de diagnostic de maladie cardiaque peuvent ne pas être en mesure de s’adapter aux changements importants du système cardiovasculaire associés à la grossesse.
Ces événements rares sont-ils de plus en plus fréquents?
Dr D’Souza : Les caractéristiques démographiques des femmes enceintes évoluent. Par exemple, dans des pays comme le Canada, où la population immigrée augmente, le risque de rencontrer des personnes atteintes d’une cardiopathie rhumatismale s’accroît. L’apparition de maladies du cœur pendant la grossesse est de plus en plus fréquente à mesure qu’augmente le nombre de femmes enceintes à un âge plus avancé, à un poids plus élevé et atteintes de certaines affections avant la grossesse, comme l’hypertension et le diabète. Ce sont là quelques-uns des facteurs contributifs aux événements cardiovasculaires graves, et il est probable qu’ils continueront à augmenter.
Comment le réseau CaNCaM-Preg changera-t-il les choses?
Dr D’Souza : Nous nous affairons, en tant que partie prenante d’une initiative connexe – The Canadian Obstetric Survey System (CanOSS; « système canadien de surveillance en obstétrique ») – à mettre sur pied un réseau réunissant les 289 hôpitaux au pays qui fournissent des soins aux femmes enceintes. Dans le cadre du premier programme du réseau CaNCaM-Preg, nous aiderons des hôpitaux où sont traitées des femmes enceintes ayant subi un événement cardiovasculaire grave, à examiner systématiquement ces événements et à en trouver les causes fondamentales.
Les membres de notre réseau – des spécialistes de la médecine clinique et des sciences sociales, des scientifiques, et des personnes ayant une expérience vécue – travailleront ensuite de concert pour trouver des solutions qui réduiront la prévalence des événements cardiovasculaires graves pendant la grossesse.
Comment la surveillance du CanOSS contribuera-t-elle à prévenir les problèmes cardiaques?
Dr D’Souza : Notre approche nous aidera à découvrir ce qui s’est produit dès le début de la grossesse jusqu’à la survenue de l’événement cardiovasculaire grave et après. Voici quelques-unes des questions auxquelles nous pourrons répondre :
- Cette personne présentait-elle des facteurs de risque inconnus?
- Le diagnostic ou le traitement de la maladie du cœur ont-ils été retardés?
- Le diagnostic ou le traitement ont-ils été retardés en raison de la grossesse?
- Cette personne a-t-elle reçu des soins différents en raison de son appartenance à une communauté marginalisée?
- L’accès aux soins a-t-il été limité parce que la personne est issue d’une communauté isolée?
Chaque cas sera examiné par un groupe externe de spécialistes (soins infirmiers, pratique sage-femme, médecine familiale, obstétrique, cardiologie, etc.) afin de déterminer ce qui aurait pu être fait autrement et formuler des recommandations aux niveaux local, provincial et national. Nous espérons que l’adoption de ces recommandations permettra d’éviter que de tels événements se reproduisent.
Quels sont les défis liés à l’adoption de ce processus et à la mise en place de changements?
Dr D’Souza : Dans les hôpitaux, les équipes soignantes sont surchargées. Le financement de notre réseau d’excellence nous permettra de recruter et de former du personnel infirmier et des assistants et assistantes de recherche pour identifier tous les événements cardiovasculaires graves et recueillir des données de manière sensible et précise.
La confiance est également un enjeu. Il faut du temps aux hôpitaux pour tisser des liens de confiance et accepter de partager des données sensibles sur des événements graves dans un réseau. Ces dernières années, nous avons travaillé très fort à bâtir cette confiance. Nos efforts ont été fructueux. La plupart des hôpitaux ont accepté de partager avec nous leurs données, anonymisées, dans le but d’améliorer les choses.
Enfin, l’annonce sur les Réseaux d’excellence en recherche de Cœur + AVC a mis l’accent sur la création d’équipes multiprovinciales et multidisciplinaires, ainsi que sur l’apport de personnes ayant une expérience vécue. C’est ce qui nous a encouragés à réunir des personnes de confiance, et qui nous font confiance, pour atteindre un objectif commun.
Quelles sont les autres initiatives du réseau CaNCaM-Preg?
Dr D’Souza : En plus de développer un réseau regroupant tous les hôpitaux à l’échelle nationale, le réseau CaNCaM-Preg réunira tous les grands hôpitaux au pays qui fournissent des soins spécialisés aux personnes atteintes d’une maladie du cœur. Ce réseau, le Canadian Cardio-OBstetrics Network (CanCOB; « réseau canadien de cardio-obstétrique »), se concentrera sur deux défis importants :
Premièrement, l’amélioration de la santé cardiovasculaire des personnes atteintes de maladies du cœur connues, pendant et entre les grossesses. Deuxièmement, l’amélioration de l’issue des grossesses chez les personnes vivant avec une valvulopathie, qui sont surtout issues des communautés autochtones et d’autres communautés marginalisées.
Selon vous, quel sera l’impact de ce réseau de recherche?
Dr D’Souza : Les événements cardiovasculaires qui surviennent pendant la grossesse bouleversent des vies. En plus de la personne atteinte, c’est tout l’entourage, la communauté et le système de santé qui en subissent les conséquences. Quand les mères survivent, leur qualité de vie est profondément affectée, parfois de manière permanente. Ces événements sont dévastateurs, mais ils sont également de plus en plus évitables avec les bonnes stratégies.
Le réseau CaNCaM-Preg a réuni les spécialistes de la médecine clinique et de la recherche les plus compétents et les plus dévoués dans leur domaine : les maladies du cœur et la grossesse. Leur mission commune : « Des cœurs forts, des grossesses sûres. » Ce qui rend ce réseau unique, c’est la collaboration avec des personnes qui ont une expérience vécue; des femmes qui ont affronté une maladie du cœur pendant leur grossesse. Nous nous assurons ainsi de ne pas nous limiter aux volets cliniques, mais de prendre également en compte les facteurs humains associés à ces défis, afin d’identifier les causes profondes et de développer des solutions tant efficaces qu’équitables.
La portée de ces travaux pourrait s’étendre au-delà des frontières. L’identification et la mise en œuvre par le réseau CaNCaM-Preg de stratégies visant à réduire le nombre d’événements cardiovasculaires graves serviront de modèle à des pays du monde entier confrontés à des défis similaires. En faisant preuve d’innovation, de collaboration et de compassion, ce réseau peut changer la donne pour de nombreuses familles et communautés, et avoir un impact durable pour les générations à venir.